De la difficulté des ERP à s'intégrer

La version originale de cet article a paru dans la revue Le Manager

No. janvier 2001, pages 36-37


Par Mohamed Louadi, PhD

Alors que l'on s'attendrait à ce qu'un ERP, jadis appelé progiciel de gestion intégré, soit non seulement intégré en soi mais capable de s'intégrer à d'autres systèmes pré-existants, des nouvelles d'outre Atlantique nous donnent des raisons de croire que cela n'est pas toujours le cas. Le problème c'est que l'on risque d'en pâtir après coup et d'en ressentir l'effet là où cela fait le plus mal: les résultats financiers de l'entreprise!

Personne n'a jamais prétendu que l'adoption d'un progiciel de gestion intégré (ERP) était une mince affaire. En fait, c'est précisément le contraire car ces systèmes sont du genre à avoir un impact définitif sur l'entreprise, sa manière de faire et même sur sa survie, que ce soit dans un sens ou dans l'autre.

Durant les deux derniers mois, deux sites au moins ont eu du fil à retordre avec le déploiement d'un ERP. Il s'agit de Petsmart Inc., basé à Phoenix (Texas) qui est spécialisé dans la vente d'animaux domestiques et Jo-Ann Stores Inc. de Hudson (Ohio). Et les deux ont eu affaire au même produit, celui de SAP AG servant à supporter la vente au détail (SAP Retail).

Dans le premier cas, l'installation de SAP Retail a été achevée l'an dernier. D'après le premier responsable des magasins Petsmart, cette installation a causé bien plus de problèmes qu'il en avait anticipé et elle continue à causer des pertes financières à la compagnie. Fin novembre, la compagnie avait déjà prévenu ses actionnaires que les résultats financiers du troisième trimestre finissant le 29 octobre seraient bien en deçà de ceux attendus et ce, en partie en raison des difficultés rencontrées dans l'installation du logiciel en question.

Phil Francis, PDG de Petsmart, avait déclaré dans une interview citée dans le magazine spécialisé Computerworld du 27 novembre 2000 que les difficultés encourues dans le projet avaient sérieusement affecté sa compagnie mais il n'avait pas précisé si ces difficultés étaient dues aux applications de SAP AG. Il a par ailleurs affirmé que la partie la plus ardue du projet était l'intégration du logiciel avec les autres systèmes opérants de la compagnie. Cette difficulté dure depuis une année environ causant des retards variant entre 12 et 15 mois dans le déploiement de SAP Retail.

En l'espace de quelques jours, Petsmart est le deuxième client de SAP AG à avoir rendu publiques ses difficultés et l'impact que le logiciel a sur ses résultats financiers après le commerçant en tissus Jo-Ann Stores qui avait déclaré que des problèmes de stockage reliés à son utilisation de SAP Retail avaient considérablement réduit ses gains du troisième trimestre. Jo-Ann avait investi 30 millions de dollars dans son projet de conversion vers les applications SAP R/3, projet qui avait été mis en oeuvre en avril 2000. D'après le responsable financier de Jo-Ann, la conversion a été très douloureuse mais cela n'est pas nécessairement la faute du logiciel et la compagnie continuera dans sa tâche de conversion en utilisant SAP R/3. Jo-Ann doit gérer 100 000 articles différents mis en vente dans plus de 1000 magasins et SAP Retail n'a pas encore été adapté aux spécificités opérationnelles de Jo-Ann ce qui a causé des problèmes d'inventaire sérieux affectant directement ses résultats trimestriels.

Un porte-parole de SAP America Inc. avait déclaré que ni Jo-Ann ni Petsmart n'avaient imputé leurs difficultés directement à SAP Retail. En fait, et toujours d'après le porte-parole de SAP, ils ont tous deux vanté les mérites de SAP Retail mais le fait que le logiciel ait été choisi par plusieurs détaillants est la preuve qu'il fonctionne. Plus impartial, Jim Shepherd, analyste chez AMR Research Inc. déclarait que les dépassements de délais dans la mise en oeuvre des ERP tels que SAP Retail sont toujours à prévoir en raison de leur complexité et des transformations souvent majeures qu'ils apportent aux processus internes des entreprises. Selon lui, cela n'empêche pas qu'ils soient quelques fois à blâmer quand des utilisateurs ont des difficultés à les intégrer avec les systèmes qui sont déjà en place. D'après un autre analyste indépendant, il est toujours difficile d'estimer la durée d'implantation de ce type de logiciels, que ce soit ceux de SAP AG ou d'autres. Seuls les pessimistes les plus extrémistes le peuvent, mais ces derniers sont rarement écoutés dans les entreprises.

Alors que la valeur intrinsèque des ERP est en révision face aux critiques récentes, il est devenu évident qu'une seule solution ne peut contenir toutes les applications à intégrer dans une entreprise moderne désireuse de se lancer dans le e-business et dans les environnements basés sur les nouvelles technologies. La tendance est à l'intégration non pas des systèmes internes d'une entreprise mais des systèmes d'une entreprise avec ceux d'une ou de plusieurs autres. Les révélations que nous apporte Computerworld avec les cas de Petsman et de Jo-Ann ne peuvent être traitées comme des cas isolés ou des exceptions car elles montrent qu'au moins avec SAP Retail, un des ERP les plus réputés, il n'est même pas possible d'assurer une intégration avec des systèmes traditionnels propres et internes à une entreprise.