L'ASP ou la location des programmes informatiques
Une solution pour nos PME
La version originale de cet article a paru dans la revue L'Economiste Maghrébin
No. 304-305, janvier 2002, pages 118 et 120
Par Mohamed Louadi, PhD
2002 est là et nous sommes à
présent dans la deuxième année du troisième millénaire. Les échéances, dont
celle du démantèlement complet des barrières douanières, approchent à grands pas
et l'économie mondiale, exacerbée par quelques évènements, tels ceux du 11
septembre et ses retombées, est au ralenti.
Pourtant, à
l'exception de quelques fleurons reconnus au delà de nos frontières, de quelques
groupes et sociétés modèles, les entreprises tunisiennes sont encore loin
d'avoir maîtrisé les outils de gestion modernes à l'instar de leurs consœurs de
par le monde.
La Tunisie compte aujourd'hui
près de 9300 entreprises dont la majorité (42%) dans le secteur du textile et
14% dans l'agro-industrie. Le secteur des services, à lui seul, contribue plus
de 52% au PIB et est responsable de 63% des créations d'emplois. Nous sommes bel
et bien dans l'ère de l'immatériel, mais le secteur de l'informatique, fer de
lance de cette nouvelle ère devant contribuer 8% du PIB en 2005, n'y contribue
encore que 3%.
Pourtant, les
entreprises tunisiennes devant bénéficier de l'apport de l'informatique et des
nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) en général
et les PME/PMI en particulier, ne sont pas en avance en termes d'acquisition des
nouveaux modes de gestion.
Quel que soit le nombre
d'entreprises tunisiennes présentes sur l'Internet, celles-ci ne constituent
encore que 18% des internautes actifs et 44% des abonnements Internet. Et
encore, ces pourcentages concernent également l'administration publique. Le
faible nombre d'entreprises tunisiennes présentes sur le net est déconcertant au
regard des incitations offertes par le gouvernement dont notamment le FOPRODEX,
le FODEC, etc. En guise d'exemple, l'Agence de promotion de l'industrie API n'a
pu inscrire que 264 entreprises dans son salon virtuel malgré tous ses efforts
de vulgarisation et de sensibilisation.
Une disparité existe dans le
degré d'avancement entre les entreprises des régions et celles des grandes
agglomérations qui est due en partie au manque d'assistance informatique (SSII,
consultants, compétences informatiques, etc.) en dehors des grands centres. Dans
les meilleurs des cas, les PME/PMI des zones reculées sont équipées de systèmes
archaïques et ce, non pas parce qu’elles l’ont bien voulu ou parce qu'elles
négligent cet aspect de leur développement, mais plutôt en raison du manque de
compétences informatiques alentour car ces dernières sont généralement peu
enclines à s'établir loin des grandes villes et les fournisseurs de matériel, de
logiciel ou de services sont pour la plupart concentrés dans la capitale. C’est
ainsi qu’il est fréquent de trouver une entreprise fonctionnant entièrement avec
des tableurs. Il est par contre rare de trouver des entreprises tunisiennes
disposant d’un ERP, par exemple, même si ces systèmes sont aujourd'hui davantage
à la portée des PME qu'ils ne l'étaient il y a deux ans. Répugnant à
s'aventurer, ces entreprises ont plutôt recours à des programmes informatiques
simples développés spécifiquement pour elles par des compétences
locales.
Pourtant, le secteur
informatique tunisien est fort de quelques 250 à 270 SSII[i]
dont les activités couvrent les prestations de tous types dont la création de
logiciels, la sous-traitance, l'ingénierie, l'offre de solutions complètes et/ou
intégrées, l'assistance, le conseil, la formation, etc. Malheureusement les SSII
sont, pour la plupart, dans les grandes villes de la Tunisie avec une nette
prédominance pour la capitale.
Aujourd'hui, les nouvelles
technologies et surtout les services qui se développent autour d'elles font
briller une lueur d'espoir pour ces entreprises qui, soit parce qu'elles sont
trop petites ou parce qu'elles ne disposent pas de suffisamment de moyens,
financiers ou autres, sont peu ou pas
informatisées.
Un nouveau marché, celui des
ASP (Application Service Providers) est en train de se définir ailleurs qui
pourrait devenir la tendance majeure dans quelques années. A en croire
Cesmo-CGEY, ce marché pourrait atteindre 1,2 milliard de francs pour les PME/PMI
et près de cinq fois plus pour les grands comptes, soit plus de 7 milliards de
francs en tout et ce, en France uniquement.
Les fournisseurs
de services applicatifs, autrement dit, des hébergeurs d'applications et des
intégrateurs de systèmes offrent ainsi non plus des logiciels à la vente mais
des systèmes en location. Ces acteurs de l'ASP fournissent des applications
auxquelles l'on peut accéder en ligne sans jamais avoir à les maintenir ou à les
mettre à jour. Après tout, seules leurs données et informations intéressent les
entreprises et presque seules les données et les informations différent d'une
entreprise à une autre. Les applications, et surtout les applications classiques
(facturation, gestion des commandes, gestion de stock, etc.) sont, pour une très
large partie, similaires. Ainsi, les programmes sont fournis sur le réseau et
sont également accessibles sur le réseau. Au lieu d'être "propriétaires"[ii]
de logiciels, les entreprises en deviennent des locataires.
Trois obstacles majeurs sont cependant à surmonter. Le premier est que
l'accès à distance à des données et à des applications qui ne résident plus sur
les systèmes et les ordinateurs propres de l'entreprise nécessite une
infrastructure et une bande passante importantes à l'intérieur du pays. La
lenteur des transmissions des données conjuguée aux coûts de meilleures liaisons
peuvent rebuter des entreprises qui somme toute préféreraient peut-être un
investissement fixe à un coût variable.
Le deuxième obstacle est la
réticence de toute entreprise, tunisienne ou autre, à confier ses données à un
tiers. L'information a cela de particulier qu'elle symbolise encore, tel le
sceptre des temps modernes, le pouvoir. A contrario, ne pas avoir l'information
ou la partager est presque synonyme de manque de pouvoir.
Autrement, dans une logique ASP, l'investissement des entreprises ne
concernera plus que l'acquisition du matériel, une proportion des coûts
nettement moins importante que celle des logiciels.
Ce matériel se limitera à des PC et à des équipements de
télécommunication permettant à ces derniers de communiquer, par voie de ligne
spécialisée par exemple, avec les serveurs de ce qui deviendra probablement une
sorte de banque d'applications. Bizarrement, c'est vers le matériel que les
entreprises devront vraisemblablement orienter leurs investissements futurs. Là
également du chemin reste à faire.
[i]
Excepté les sociétés spécialisées dans la vente ou
l'assemblage de matériel.
[ii]
Légalement, et à moins que ce soit un logiciel libre ou un
système informatique développé "maison", un logiciel n'est jamais acquis;
l'"acquéreur" n'obtient en fait qu'une licence d'utilisation, ce qui, si on
laisse la sémantique de coté, revient à une location.