La mise à niveau des entreprises, la nouvelle économie 

et l'ère de l'information

La version originale de cet article a paru dans la revue Le Manager

No. 44, mars 2000, page 18


Par Mohamed Louadi, PhD

Il est peu de locutions portées davantage au pinacle du développement actuel des entreprises que «mise à niveau». Mais son usage dérive rarement pour exprimer l'apport fondamental que les nouvelles technologies et les systèmes d'information peuvent apporter aux entreprises désireuses de rivaliser avec leurs paires d'outre-mer.

Alors que la mondialisation a une signification que les récentes tractations de Seattle ont quelque peu assombrie, l'ouverture des frontières avec ses lois de la nouvelle économie auront lieu toujours trop tôt pour certaines de nos entreprises.

Le débarquement de Normandie des banques, groupes industriels, sociétés d'assurance, chaînes de grande distribution et autres chaînes d'hôtels étrangers risque fort d'avoir l'effet des hordes mongoles surprenant les seigneurs européens.

Le constat que les processus et les systèmes d'information des entreprises tunisiennes sont encore si peu orientés vers l'extérieur est éloquent. Parce qu'elles étaient habituées à être managériellement introverties et centrées sur leur appareil de production, certaines de ces entreprises font communément peu de cas de leur environnement externe. Leur réserve et leur discrétion font que, souvent, mêmes leur adresse électronique est confidentielle. Dans d'autres cas, leur site web, quand il existe, ne contient que des informations (bilans financiers et comptes d'exploitation comptables) qui sont de peu d'intérêt pour le monde extérieur. Quoique de plus en plus bardées de certificats ISO 900x, nos entreprises n'ont toujours pas acquis les réflexes nécessaires à la survie dans la nouvelle économie qui coïncide avec l'ère de l'information. Elles en savent toujours très peu sur leurs concurrentes, leurs partenaires et leurs vis-à-vis commerciaux.

Dans cette nouvelle économie, l'entreprise est dégraissée, extravertie, nantie de processus réellement orientés vers l'extérieur et essentiellement vers le client; elle est obsédée par ses mécanismes de commercialisation et de ventes. Ses systèmes d'information ne s'appellent plus guère PAO ou MAO, mais sont conçus autour d'énormes bases de données clients.

Dans cette nouvelle économie, les banques considèrent qu'un client est d'abord un client alors que les banques d'antan considèrent qu'un client est d'abord un numéro de compte. Un client n'en est un que s'il sait par coeur le numéro de son compte car son identité seule n'a pas cours. Dans les hôtels de la nouvelle économie, un client est d'abord une panoplie de goûts et de préférences accumulée au fil de ses visites. Pour une société d'assurances, un client est un assuré dont on connaît le nom de l'épouse et la date de naissance des enfants -de futurs clients. Les cartes de voeux, d'anniversaire et de remerciements (de n'avoir été la victime d'aucun accident cette année) sont autant d'outils de commercialisation. L'acheteur d'une Mercedès aux États Unis sera identifié même à Francfort où des informations sur ses visites et travaux d'entretien seront amassées et analysées à la loupe.

Dans tous ces cas, les bases de données et les systèmes d'information informatiques ne sont pas centrés autour de fichiers «comptes bancaires» ou «nuitée» mais autour de fichiers «clients». Ces fichiers sont alimentés grâce à d'énormes banques de données, des mégabases, où des informations sur les habitudes de consommation de millions de foyers sont déjà répertoriées. Ainsi, en France, plusieurs fichiers sont accessibles aux PME et Minitel s'est transformé en une plate-forme informationnelle de choix sur les bilans de santé des entreprises.

Les bases de données sur les foyers sont analysés, compilées, décortiquées pour extraire des clients potentiels pour tel ou tel produit. Les bases de données sur les entreprises sont acquises par les entreprises dans le souci de faire des études comparatives et de benchmarking car elles sont souvent spécialisées dans des secteurs d'activité bien définis et renferment des informations à très haute valeur concurrentielle.

En Tunisie, des entreprises commencent à avoir des départements de système d'information et des divisions de veille stratégique, voir concurrentielle. Il existe par ailleurs quelques cabinets spécialisés dans la collecte et la vente d'informations sur les entreprises. Mais la tendance est encore trop timide et la question est de savoir si notre culture, nos systèmes d'information et nos réflexes vont être à la mesure des exigences de la nouvelle économie et de l'ère de l'information.