La société de l'information et le développement
économique des nations
La version originale de cet article a paru dans la revue Le Manager
No. 50, septembre 2000, pages 46-47
Par Mohamed Louadi, PhD
A mesure que la société de l'information gagne en l'importance dans les esprits, les classements et les enquêtes économiques cherchant à identifier les indicateurs révélateurs d'une plus grande aptitude des pays à intégrer la société de l'information se multiplient.
Cette capacité d'intégration constitue, pour plusieurs économies, et particulièrement les plus défavorisées de l'économie traditionnelle, un facteur essentiel de succès. Elles sont de ce fait attentives aux classements produits par les organes de l'Organisation des Nations Unies (ONU) ou par des organismes publics ou privés tels que le World Economic Forum ou l'Economic Intelligence Unit (voir Le Manager, N 47).
Deux classements récents ont fait l'objet d'une attention particulière: celui du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) et celui du META Group. Le premier est produit sur la base d'un indicateur de développement humain et le second sur la base d'un indicateur de propension à intégrer la nouvelle économie globale.
L'indicateur de développement humain (IDH)
Il y a dix ans, le PNUD avait mis au point l'indicateur du développement humain (IDH) permettant de classer les pays selon leurs progrès. La liste, révisée annuellement, classifie les pays en se basant sur des indices économiques traditionnels tels que la longévité, le savoir et le niveau de vie.
La longévité est mesurée par l'espérance de vie. Le savoir est une combinaison chiffrée de critères tels que le taux d'alphabétisation des adultes et le nombre moyen d'années d'études. Le niveau de vie reflète le pouvoir d'achat, lui-même déterminé par le PIB réel par habitant pondéré par le coût de la vie.
L'IDH distingue entre trois groupes de pays. Les pays dont l'IDH est supérieur à 0,804 sont identifiés comme étant ceux dont le développement humain est élevé. Les pays dont l'IDH est inférieur ou égal à 0,507 sont ceux dont le développement humain est faible. Les autres pays sont catégorisés comme des pays à développement moyen.
Ainsi sont classées premières les économies canadienne, norvégienne et américaine. Le Japon est classé quatrième, talonné par la Belgique et la Suède. La France n'y figure qu'au 11ème rang précédée de la Grande Bretagne et suivie de la Suisse.
Plutôt que de mesurer le degré d'accumulation de biens matériels, l'IDH a donc trait à la probabilité qu'ont un ou plusieurs individus d'intégrer la nouvelle société. Une des dimensions de cette possibilité est les chances qu'a l'individu, citoyen d'une économie donnée d'accéder à la connaissance et à l'information tout en bénéficiant de ressources, matérielles ou autres, qui assurent un niveau de vie décent.
Quoique largement critiqué, l'IDH est encore utilisé par les économistes intéressés par les questions de développement des nations. Il demeure limité puisqu'en dehors des aspects de développement humain, il n'incorpore pas toutes les mesures de la nouvelle économie telles que, par exemple, l'aptitude d'un pays à traiter et à créer de l'information, un critère clé de succès essentiel dans une économie de l'information et du savoir.
Le Global New E-Economy Index (GNEI)
Il y a un an et dans l'espoir de remédier aux insuffisances du IDH, le Dr. Howard Rubin et l'équipe de recherche du Rubin Systems Inc. ont conçu une autre méthodologie de classement basée sur un nouvel index, le Global New E-Economy Index (GNEI) à l'aide duquel les économies sont classées en fonction de leur compétitivité technologique nationale.
L'indicateur de GNEI est un indicateur synthétique combinant des critères tels que les emplois du savoir, la capacité d'innovation technologique, le dynamisme et compétition économique, la globalisation et la transformation vers une économie digitale(1).
C'est à l'aide de cette méthodologie que le META Group a pu classer 46 économies. Cette fois, les USA raflent le premier rang, suivis par le Japon, l'Allemagne et la France. Au plus bas de la liste, figurent, dans l'ordre décroissant, l'Indonésie, la Thaïlande, la Slovénie et le Venezuela. L'Afrique du Sud, seul pays africain, ne se retrouve qu'au 42ème rang.
On notera que 20 des pays qui figuraient dans la liste publiée le 4 mai 2000 par The Economist Intelligence Unit classant les pays les plus aptes à pratiquer le commerce électronique (voir Le Manager, N 47) figurent également dans la liste du GNEI, quoique dans un ordre différent.
Le classement du GNEI a été présenté comme une liste de pays qui ont déjà pris de l'avance dans la transition vers l'économie du savoir en adaptant de nouvelles technologies et en re-découvrant la façon d'utiliser ces technologies afin d'assurer un avantage concurrentiel.
Ces économies sont en train de s'assurer les moyens d'être plus compétitives et plus riches. Le problème, c'est que la plupart sont déjà riches. On notera facilement l'absence de la presque tonalité des pays en voie de développement. Le seul pays africain qui y figure est l'Afrique du Sud, un pays qui sort déjà du lot du reste des pays africains et les pays asiatiques classés sont déjà connus comme les Dragons de l'Asie du Sud-est.
Le absents
La concordance entre les deux classements n'est pas évidente. Les plus grandes discordances se situent au niveau de la Norvège (classée 18ème et 2ème respectivement dans les deux listes), la Slovénie (44ème et 28ème) et les Philippines (25ème et 40ème).
L'on peut par ailleurs également constater des différences entre le GNEI et l'IDH en ce qui concerne les pays les mieux classés. La Norvège, malgré son classement dans le IDH, n'apparaît pas très avancée dans sa préparation à la nouvelle économie.
L'absence de plusieurs économies émergentes peut s'expliquer par le fait que certains pays ne sont pas encore préparés à satisfaire un des postulats fondamentaux de la société de l'information, à savoir la disponibilité et la transparence de l'information les concernant. La difficulté de disposer d'informations fiables sur l'infrastructure informatique et le degré d'avancement technologique de ces économies rend la tâche de classement ardue puisque les indicateurs sur lesquels ces classements se basent sont parfois difficiles à obtenir. Si fait que les classements sont forcément biaisés en faveur des pays qui jouissent de mécanismes de traitement et de collecte d'informations économiques, sociales et surtout technologiques, développés.
1. (1) Les emplois du savoir (ou knowledge jobs) reflètent la disponibilité de compétences en technologies de l'information, de cadres supérieurs, ingénieurs qualifiés, etc. (2) La capacité d'innovation technologique (ou technological innovation capacity) est calculée à partir du nombre de brevets déposés, les dépenses en R&D, le pourcentage de personnel R&D, etc. (3) Le dynamisme et compétition économique (ou economic dynamism and competition) concerne la productivité, la motivation, l'entrepreneuriat, la santé financière des entreprises et la disponibilité de venture capital. (4) La globalisation est dérivée du volume d'export de biens et de services, des flux d'investissements étrangers, de l'absence de barrières douanières, etc. (5) La transformation vers une économie digitale (ou transformation to a digital economy) se calcule en fonction du nombre de connexions Internet, du degré de développement de commerce électronique, du degré d'utilisation des micro-ordinateurs et de la puissance de calcul disponible dans le pays.