Le petit et moyen village global ou

l'EDI pour un village global à la mesure des PME

La version originale de cet article a paru dans la revue Image Economique, Québec, Canada

Vol.18, No.5, janvier 1994, pages 17-20


Par Mohamed Louadi, PhD et René Gélinas, PhD

Professeurs à l'Université du Québec à Trois-Rivières 

À l'heure du GATT et de l'ALENA, de l'ouverture et de la globalisation des marchés, à l'heure où les entreprises, grandes et petites, deviennent de plus en plus dépendantes les unes des autres, le flux de données entre les organisations ne fait qu'augmenter. Pourtant, un bureau d'étude concluait récemment que près de 90% des informations emmagasinées dans les ordinateurs des entreprises étaient du type interne. Les données de type externe (commandes, factures, etc.), même si elles sont traitées informatiquement au sein d'une entreprise, doivent être converties sous forme de papier lorsqu'elles doivent transiter d'une entreprise à une autre, comme dans le cas d'un client avec son fournisseur par exemple. Ainsi, même en 1993, le formulaire de papier garde toute sa popularité un siècle après son invention. Moore Corp., le premier producteur aux États-Unis, estime que les formulaires et les bordereaux de type commercial constituent le tiers des 2,5 milliards de pages produites annuellement par le monde des affaires et pour lesquels près de 100 milliards $ sont dépensés en frais de gestion. On estime par ailleurs que 50% des données saisies dans un ordinateur proviennent d'un autre ordinateur: l'ordinateur d'un manufacturier produit un état des commandes à expédier à un fournisseur; une fois l'état reçu par le fournisseur, celui-ci le saisit dans son ordinateur pour en assurer la gestion et mettre à jour ses fichiers. C'est précisément à cette étape de saisie manuelle que se produisent de 3% à 5% des erreurs. Les scanners, qui étaient à la mode il n'y a déjà pas longtemps et qui promettaient de permettre le balayage d'un document de transmettre l'information qu'il contient directement à l'ordinateur n'étaient pas assez fiables et introduisaient en fait bien plus d'erreurs. Suite à l'ère de l'informatisation interne des entreprises des années 1980 semble se profiler une ère d'informatisation externe. Le plus souvent, cette informatisation externe se fait par le biais de la technologie de l'Échange de documents informatisés (EDI).

Avec l'EDI, au lieu d'expédier un bon de commande pour du caoutchouc et d'attendre des jours entiers que le processus soit enclenché et de recevoir une confirmation (voir la figure 1), un manufacturier de chaussures n'aura qu'à saisir lui-même sa commande dans l'ordinateur de son fournisseur (voir la figure 2). L'information sera immédiatement reçue par le fournisseur dont l'ordinateur aura déjà retourné la confirmation. Du coté du fournisseur, toutes les parties concernées auront immédiatement connaissance du détail de la commande et ce, simultanément.

L'EDI et ses origines

Les Américains, qui l'ont inventé, définissent l'EDI comme étant l'échange informatisé de toute transaction qui traditionnellement se faisait sur papier. Le phénomène a d'abord vu le jour en 1948 lorsque Ed Guilbert, responsable principal du pont aérien de Berlin, s'est trouvé frustré par le fait que les documents décrivant la marchandise qu'il expédiait arrivaient plusieurs semaines après que les marchandises proprement dites arrivaient à destination. Huit ans plus tard, Guilbert eut l'occasion d'implanter et de fignoler son concept. Ainsi durant le pont aérien de la Hongrie, aucun avion cargo ne décollait avant que l'état détaillé de ce que contenait sa soute n'arrivait à destination. Ce n'est qu'en 1968 que, de retour aux États-Unis, Guilbert décida de fonder la Transportation Data Coordinating Committee (TDCC) pour établir les standards qui régissent ce qu'un jour devait devenir le US EDI Standards.

La technologie ne prit son envol qu'à la suite de la publication des résultats de l'étude de la firme Arthur D. Little en 1980. ADL concluait que les épiciers épargneraient jusqu'à 333 millions par an si seulement 50% se convertissaient à l'EDI. La mythologie de l'EDI veut que la publication de ce rapport fut le coup de fouet décisif dont l'EDI avait besoin pour s'imposer dans le secteur industriel. D'entre les entreprises qui ont alors adopté l'EDI, on compte la plus grande bureaucratie du monde: le gouvernement américain. Le ministère de la défense américaine a obligé l'industrie de la défense de se mettre à l'EDI si elle voulait continuer à faire affaires avec lui.

Au Québec, Provigo s'érigea en pionnier de l'EDI en s'y intéressant au milieu des années 1980 à l'instar de la chaîne américaine Super Valu. En 1984, General Motors envoya un ultimatum à tous ses fournisseurs leur donnant jusqu'à 1987 pour se mettre à l'EDI ou se "déconnecter" de GM. Une année plus tard, GM forma un consortium dans lequel elle incluait huit des plus grandes banques nationales dont First Chicago, Pittsburgh National Bank et Mellon Bank NA. GM complétait ainsi la boucle des transactions EDI en y intégrant le règlement électronique des factures.

En fait le phénomène EDI ne s'est pas matérialisé du jour au lendemain. Quand General Electric décida de se joindre à la bonanza de l'EDI en 1985, elle ne put réaliser plus de 10 transactions électroniques cette année là. Le nombre s'éleva à 500 en 1986 et à 1 700 en 1987! Lentement mais sûrement, le phénomène semble s'être étendu à toutes les industries. D'après le Journal of Petroleum Accounting, 200 utilisateurs de l'EDI dans l'industrie du pétrole ont traité près de 7 millions de transactions en 1986 pour un cash-flow de 40 millions de dollars. Parce que l'EDI, hormis ses avantages pratiques rapporte! Et économise. Et pour cause: d'après Pierre Lortie, président de l'Institut Mondial EDI, une transaction sur papier peut coûter jusqu'à 50 $ alors que son équivalent EDI ne coûterait que 5 $.

Après une gestion de plus de deux décennies, l'utilisation de l'EDI semble avoir atteint la masse critique. Aujourd'hui, plus de 37 000 compagnies américaines sont engagées dans l'EDI, comparativement à 2 000 en 1987, 3 500 en 1988 et à 10 500 en 1991. La technologie progresse également au Québec où le nombre d'utilisateurs est passé de 250 à 485 au cours des deux dernières années. Club Price par exemple s'est jeté dans la mêlée en 1991 en convainquant 160 de ses fournisseurs de faire de même en l'espace d'un an. Alors que Club Price a intégré sa comptabilité, la vérification de l'accusé de réception de ses commandes et des livraisons, de la facturation et de la production automatique du chèque de paiement, il ne s'est pas encore résolu au paiement électronique dont GM demeure le pionnier. Par ailleurs, la Banque Royale du Canada s'est fixée pour objectif de totalement éliminer les transactions sur papier en reliant ses 1 600 succursales --le plus grand réseau d'Amérique du Nord-- électroniquement.

L'EDI, un mal nécessaire

Malgré les avantages déclarés de l'EDI (voir ci-contre), toutes les entreprises qui se sont mises à l'EDI ne l'ont pas fait de gaîté de coeur. Souvent, ces entreprises sont des PME qui se voient contraintes à adopter l'EDI ou disparaître. Future Electronic Inc., par exemple, fut incitée à se brancher sur l'EDI par Texas Instruments, un de ses plus importants fournisseurs. Wal Mart et K Mart sont allées jusqu'à refiler à leurs fournisseurs le fardeau de renflouer leurs stocks sans qu'elles n'aient plus à s'occuper de leur gestion. Au début de 1990, 96% des fournisseurs de Chrysler avaient été obligés à se plier. 65 avaient cru opportun de refuser de se connecter au système EDI de Chrysler. Ils furent immédiatement remplacés par 39 autres fournisseurs. D'après le rapport du consultant Datapro Research du New Jersey, l'ultimatum n'est pas toujours aussi explicite. En fait le message est simple: "Si le volume mensuel de nos transactions avec vous dépasse un certain seuil, mettez-vous à l'EDI". C'est ainsi qu'au Québec, 72% des entreprises se sont converties à l'EDI à la suite d'une "suggestion" du même genre. Déjà le secteur de la distribution exclut de facto tout nouvel entrant qui voudrait s'établir sans utiliser l'EDI. Les victimes sont souvent des petites et moyennes entreprises. Alors que faire?

Se mettre à l'EDI peut revêtir plusieurs formes. La plus simple et la moins coûteuse est de se doter de l'équipement et du logiciel nécessaires. Du coté du matériel, un micro-ordinateur --un vieux PC XT ferait l'affaire-- et un modem sont de mise. Du coté du logiciel, plusieurs programmes d'origine Québécoise sont disponibles. Documentik MD gère les transactions depuis leur réception jusqu'à leur archivage. Sybel propose STX, un programme qui gère non seulement les transactions mais aussi la communication à des vitesses variant entre 1200 et 19 200 bits/seconde. D'autres compagnies telles que IBM, TSI International, AT&T ou WordPerfect Corp. offrent des solutions pour toutes les bourses. Certains logiciels tels PegaSys sont des partagiciels qui vous permettent d'installer votre propre babillard électronique à peu ou pas de frais.

Grosse modo, l'investissement pécuniaire peut varier entre 500 et 10 000 $. Cet investissement pourrait être amoindri si plusieurs PME participaient, à l'unisson, à l'établissement d'un réseau EDI commun créant par ce faire un phénomène de synergie. Mieux encore, elles pourraient s'abonner à un Réseau à valeur ajoutée (RVA). Avec les RVA, plusieurs PME se mettent en grappe autour d'un réseau commercial en payant des frais d'abonnement. Cette approche est préférée par 77% des utilisateurs de l'EDI au Québec. Quoiqu'un RVA accapare près de 60% des dépenses reliées à l'investissement dans un EDI, il a l'avantage de l'impartition de sa gestion à un organisme externe tel que Telenet, Tymnet ou GE aux États-Unis ou GE Services Informatique Canada au Canada. Déjà Entreprises Solstice s'est associée à cinq autres PME pour former le Groupe Industriel Rive-Sud pour établir un groupe de marketing commun très proche du concept des RVA. Un autre avantage des RVA est qu'ils permettent de joindre des partenaires situés partout dans le monde. Que ce soit à Taïwan, à Singapour ou à Mexico, de proche en proche, de RVA en RVA, les barrières d'antan sont en train de céder le pas à ce qui pourrait très vraisemblablement devenir un petit et moyen Keireitsu, un petit et moyen village global pour l'épanouissement économique des petites et moyennes entreprises.