Les technologies de l'information et le monde arabe

La version originale de cet article a paru dans la revue Le Manager

No. 77, décembre 2002, pages 36-38


Par Mohamed Louadi, PhD

 

Plusieurs caractéristiques sont communes aux pays du monde arabe et point n’est besoin ici de s’attarder sur cela. Par contre, toutes les recherches et statistiques laissent supposer que le monde arabe est loin d’être en avance en matière d’utilisation et d’investissements dans les technologies de l’information et de la communication.

 

Nous avons déploré il y a quelque temps le mauvais classement des pays arabes dans les listes établies par les observateurs internationaux, notamment dans le palmarès des sites du gouvernement électronique (voir Le Manager, No. 65, Décembre 2001, pp. 46-49) dans lequel les pays arabes ne figurent malheureusement pas toujours en bonne place. Le premier pays arabe, l’Arabie Saoudite, y figure en 21ème position, suivi de la Mauritanie classée en 25ème position et la Tunisie n’apparaît qu’en 85ème position, talonnant la Syrie, juste avant le Soudan (86ème) et loin derrière la Libye (43ème).

 

Dans la liste établie par The Economist Intelligence Unit en date du 4 mai 2000 (Le Manager, No. 47, Juin 2000, pp. 42-45), soixante pays sont classés en fonction de leur aptitude à adopter le commerce électronique dans un horizon de cinq ans. Dans cette liste, le premier pays arabe, l’Arabie Saoudite, encore une fois, y figure au 40ème rang. Les trois autres pays arabes classés sont l’Égypte (49ème), l’Algérie (57ème) et l’Irak (60ème). Beaucoup de pays arabes, dont la Tunisie, y étaient totalement absents.

 

Récemment, et sans doute pour la première fois, un cabinet d’études international de renom, y regarde de plus près et évite les écueils des classements pour évaluer l’état des lieux des technologies de l’information dans le monde arabe.

 

L’étude de International Data Corp.

 

Intitulée «The Software Solutions Market in Middle East and North Africa, 2001-2006», l’étude d’International Data Corp. (IDC) avait été achevée en août 2002. Elle s’est penchée sur la totalité du monde arabe et a même pris soin de le subdiviser en régions et catégories de pays. C’est ainsi que la Jordanie, le Liban, la Syrie, l’Irak, la Palestine et le Yémen ont été regroupés sous la catégorie «reste du Moyen-Orient» (RoME). La Maghreb inclut le Maroc, l’Algérie, la Libye, la Tunisie, le Soudan et la Mauritanie. La catégorie «reste du Golfe» inclut Bahrain, le Koweït, Oman et Qatar.

 

Les investissements arabes dans les solutions d’entreprise et de commerce électronique

 

Ainsi ce rapport ne s’est-il pas contenté de comparer les pays entre eux –quoi qu’il le fasse mais d’une façon très constructive--, mais s’est évertué à évaluer le marché et les investissements effectués en matière de matériel ; de logiciel et de services liés aux technologies de l’information. L’attention a également été portée sur des systèmes modernes tels que les progiciels de gestion intégrés (ERP), les progiciels de gestion de la logistique globale (SCM), les systèmes de gestion de la relation avec la clientèle (CRM) et les systèmes de commerce électronique (eCommerce).

Ainsi ressort-il de cette étude que dans les régions d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, majoritairement constituée de pays arabes, les investissements globaux dans les technologies de l’information se sont élevés à plus de 5 milliards de dollars en 2001.

 

Pour ce qui concerne les solutions d’entreprise (dont les ERP), les investissements globaux ont atteint 98,50 millions de dollars en 2001 dont l’Arabie Saoudite avait dépensé 34,2% suivie des Émirats Arabes Unis avec 28,4%. L’Algérie, le Maroc et la Tunisie ont investi 9% de cette somme dans les ERP alors que la Jordanie, la Syrie et le Liban n’y ont investi que 3,5%. Ce sont les secteurs de l’énergie (pétrole et gaz) qui sont les plus demandeurs de solutions d’entreprise, suivis du secteur de la distribution, du secteur agroalimentaire (essentiellement les boissons) et de l’administration.

 

Moins populaires que les ERP, les systèmes CRM semblent être les favoris des Émirats qui en sont les premiers investisseurs arabes avec 38,0% des dépenses totales. Ces investissements ont été faits dans le secteur du gros et des communications. Après les autres pays du Golfe (19,6%), c’est l’Arabie Saoudite qui vient en 3ème position (16,7%), suivie de l’Égypte (11,8%) et du Maghreb (7,8%). Les autres pays ferment la liste avec 6,1% des investissements dans les CRM. Les secteurs auxquels ces investissements avaient profité sont ceux des communications, financiers (banques et autres services), la distribution, le détail, et les secteurs à haute valeur ajoutée tels que l’électronique.

 

Les projets de commerce électronique ont également eu leur part d’investissements. Ce sont surtout l’Arabie Saoudite et les Émirats qui se démarquent puisqu’à eux seuls, ils cumulent 77,6% des dépenses consacrées au commerce électronique. Ce sont les gouvernements et les secteurs de l’énergie qui se sont faits les plus grands acquéreurs de ces solutions alors que les services financiers ont englouti 12,3% des investissements.

 

Curieusement, les projets de logistique (SCM) n’avaient bénéficié que de très peu d’investissements. Les dépenses dans ces solutions ont été négligeables sans doute parce que la plupart des ERP utilisés dans les pays arabes (Oracle Applications, MFG/Pro, SAP R/3, OneWorld, etc.) incorporent déjà des fonctionnalités avancées en matière de gestion de la logistique, jugées redondantes avec les solutions de SCM traditionnelles.

 

Les prévisions d’IDC concernant la croissance de la région en termes de technologies pour la période 2002-2006 sont généralement optimistes puisque le taux de croissance annuel est situé aux alentours de 17,3%. Ce taux de croissance est très comparable à celui déjà réalisé par la Tunisie en matière d’investissements dans les technologies de l’information depuis le 6ème Plan de Développement économique et social.

 

A ce rythme, les investissements globaux plafonneront aux alentours de 219 millions de dollars en 2006. La catégorie des systèmes avancés (SCM, CRM, eCommerce, et Knowledge Management) promet plus ; le taux de croissance pour ce segment serait de 46,5% annuellement.

 

Conclusion

 

Il ressort de tout cela que le monde arabe est en parfaite harmonie avec le reste du monde ; certains pays l’étant plus que d’autres. D’ailleurs, IDC n’a pas manqué de relever que Bahrain et les Émirats sont très comparables à l’Europe occidentale en termes d’infrastructure et de développement technologiques.

 

Ce qui est intéressant c’est que, en général, les investissements dans l’immatériel (logiciel et services) sont encore inférieurs à ceux faits dans le matériel. Par contre, le fait que les investissements s’orientent vers des solutions intégrées et s’éloignent des développements spécifiques prouve que la mise à niveau du monde arabe est à un rythme accéléré, surtout si ces investissements profitent aux entreprises. Le revers de la médaille est que le monde arabe augmente sa dépendance vis-à-vis de l’occident. Par conséquent, le développement des compétences humaines capables d’extraire de ces systèmes la connaissance qu’ils incorporent en matière de gestion moderne doit être considérée une priorité.

 

Or c’est là que le bat risque de blesser surtout au regard d’un autre rapport de International Data Corp. produit, incidemment, en août 2002 et intitulé «Opportunities in the Rebound: Return of the Skill Shortage» et dans lequel IDC avance qu’au cours des années à venir, l’on sera confrontés à une forte pénurie de personnel résultant d’un retour en force de l’industrie informatique. Cela aura pour effet de créer une demande de compétences inattendue. Les pays du Golfe, plus dépendants que d’autres sur ce plan, seront sans doute plus touchés. A charge de tous les pays arabes de planifier en conséquence.