De la prolifération de l'information et du papier dans les entreprises

La version originale de cet article a paru dans la revue L'Économiste Maghrébin

No. 319, juillet 2002, pages 32-34


Par Mohamed Louadi, PhD

 

A la veille du XXIème siècle encore, nous semblons écrasés par les formulaires, bordereaux, notes de service, mémos, décharges et autres paperasseries.

L'impression et l'utilisation du papier ont atteint des proportions alarmantes. Il suffit pour s'en convaincre, de soupeser l'édition du New York Times qui comporte, en moyenne, 558 pages et pèse entre 2 et 3,5 kilogrammes. Le papier que consomme, chaque année, ce grand quotidien new-yorkais nécessite l'abattage de 5,5 millions d'arbres. A lui seul, le marché mondial des formulaires est évalué à neuf milliards de dollars.

D'autre part, et à en croire les experts, la quantité totale d'informations gérée par les entreprises double tous les trois ou quatre ans. Avec les nouvelles technologies, il y aurait lieu d'espérer que ces informations seront davantage sous une forme électronique que sous la forme que nous avons connue depuis des siècles, le papier. En effet, il semblerait que depuis la création des formulaires, il y a déjà près de cent ans, nous ne finissons pas de croupir sous la paperasse que nous imprimons, photocopions, rangeons, expédions, etc. Et il semble que les nouvelles technologies sont impuissantes face à ce ras de marais. L'on pense même que certaines de ces technologies, dont l'imprimante laser et le e-mail, n'ont fait qu' exacerber une situation déjà insupportable.

D'autres technologies telles les Intranets, la gestion électronique des documents (GED) et l'échange de documents informatisés (EDI) nous redonnent espoir. Un spécialiste en la question affirme que si aujourd'hui 95% des informations que les entreprises gèrent sont encore en papier, cette proportion sera de 50% en 2005. D'où nous déduisons que d'ici 2005, 45% des informations existantes qui sont sur papier seront transformées et stockées électroniquement.

Puisque ces proportions sont à interpréter dans le contexte d'un volume d'informations qui double tous les 3-4 ans, il s'ensuit que le volume du papier n'en sera pas résorbé pour autant (voir la figure).

En Tunisie, l'expérience de l'UTICA est édifiante. L'UTICA a amorti ses investissements dans l'Intranet et l'Internet uniquement sur les économies réalisées sur la photocopie. D'autres établissements tunisiens ont placé de grands espoirs dans l'Intranet pour économiser sur la duplication et la diffusion de leurs notes de procédures administratives. Dans les pays avancés, les banques comptent accélérer la substitution de leurs chèques en papier en chèques électroniques.

Le phénomène n'est pas tant la conséquence directe des technologies mais bien de l'utilisation qu'on en fait. Beaucoup d'entreprises ont appris, souvent à leurs dépens, que les révolutions ne se font pas par les nouvelles technologies. Changer la manière dont les humains se comportent est souvent plus important.

Alors que l'introduction d'une nouvelle technologie dans l'entreprise est relativement aisée (il suffit de l'acheter et de l'installer), les réflexes acquis il y a près d'un siècle ne peuvent s'estomper du jour au lendemain. Il faudrait modérer nos attentes en ce qui concerne les technologies et se méfier des effets pervers qu'elles suscitent en nous à présent que leurs prix de plus en plus abordables les rendent de plus en plus accessibles.

Acceptons le fait que si les technologies n'éliminent pas automatiquement l'emprise que le papier a sur nous, elles peuvent contribuer à sa diminution. Le cas échéant, et compte tenu des coûts énormes et souvent inutiles occasionnés par la prolifération du papier, beaucoup d'ordinateurs disparaîtront des entreprises parce que beaucoup d'entreprises disparaîtront.

En attendant, espérons que le message lancé dans le cadre de la Foire du livre de Francfort se réalisera. En effet, on nous dit que d'ici à l'an 2018, la presse sur papier cessera d'exister.