Mise à niveau, partenariats et systèmes d'information

La version originale de cet article a paru dans le journal La Presse de Tunisie (Economie)

mercredi 3 novembre 1999, age V


Par Mohamed Louadi, PhD

Pour tuer quelqu'un, [le mariage] est quand même moins sûr que la mort.
Jean Giraudoux Électre, I, 3, Le mendiant (Grasset).

Dans le cadre de leur mise à niveau et de préparation à l'ouverture, des entreprises et groupes d'entreprises tunisiennes ont signé des pactes de partenariat avec des groupes ou des multinationales étrangers.

Certaines entreprises appréhendent, à tort ou à raison, les éventuels retours de manivelle et les effets autrement pervers de ces partenariats.

Le partenariat est un pacte comparable à celui du mariage et le facteur risque n'est jamais entièrement exclu de l'équation. Les risques de dérapage à moyen ou à court terme existent et sont surtout dûs au rapport de force existant entre un géant européen ou américain et une entreprise ou un conglomérat de PME tunisiennes.

Ce rapport est tributaire de la force et de la présence de l'entreprise tunisienne sur son propre marché, lequel marché risque d'être livré au partenaire étranger. Car l'on ne saurait ignorer les tailles des marchés auxquels les entreprises étrangères sont habituées. Une fois le marché tunisien acquis, l'entreprise tunisienne risque d'être engloutie, acquise ou carrément «terminée» par l'entreprise étrangère.

D'entre toutes ses facettes, le risque encouru en a une qui est rarement examinée par les ingénieurs de partenariat: celle du système d'information de l'entreprise tunisienne.

Certes, l'on pense souvent que l'acte de partenariat est lourd de promesses pour la mise à niveau de l'entreprise tunisienne car il s'établit souvent une symbiose permettant un transfert de technologie et de know-how qui ne peut que lui profiter, pense-t-on. Mais plusieurs effets secondaires sont théoriquement possibles.

Dans la vaste majorité des cas, le partenaire étranger dispose de systèmes d'information organisationnel et informatique hautement développés avec des paramètres tant stratégiques que technologiques fixés. Ces paramètres doivent logiquement être transférés, souvent tels quels, à l'entreprise tunisienne une fois celle-ci devenue partenaire car les deux systèmes seront appelés un jour à communiquer tant au niveau statique (infrastructure technique) que dynamique (évolution stratégique).

D'aucuns n'y voient aucun problème parce qu'il s'agira toujours de mise à niveau, de transfert de technologie, de transfert de savoir faire et surtout, de transfert d'expertise et d'assistance. Les ingénieurs du partenaire étranger pourront être mis à contribution et les ingénieurs système pourront participer à la modélisation de nos entreprises selon un modèle éprouvé et nos entreprises pourront se faire une économie au niveau de l'infrastructure informationnelle qui se calquera sur celle du partenaire.

L'on entrevoit au moins trois scénarios. Dans le premier, l'entreprise tunisienne hérite du système d'information du partenaire étranger et tentera, tant bien que mal, de l'adapter en fonction des spécificités locales. Elle pourra, par exemple, opter pour le progiciel de gestion intégré de son partenaire sans avoir à considérer les alternatives offertes par le développement spécifique disponible sur le marché local. Le progiciel sera acquis avec, éventuellement le concours financier du partenaire, et le représentant dudit logiciel commencera à envisager une présence en Tunisie. Beaucoup d'avantages d'ordre macro-économique résulteront probablement de cet état de choses.

Dans le deuxième scénario, le partenaire étranger n'insistera pas pour que son partenaire adopte le même système mais prendra soin de se réserver un droit de regard quant à ses choix technologiques. Cette dernière, si elle est encore dans l'étape d'acquisition d'un système informatique, entreprendra d'étudier les alternatives présentes sur le marché local. Dans certains cas, elle se fera le site pilote, un laboratoire, que le partenaire aurait choisi pour tester ou évaluer d'autres solutions possibles. Dans les autres cas, l'entreprise tunisienne maintiendra son système existant.

Dans le dernier cas, l'entreprise tunisienne sera libre de conserver son système ou de choisir son système indépendamment de l'intervention du partenaire. Elle préservera son autonomie et sa liberté d'action mais perdra les avantages du transfert de technologie.

La nature et l'ampleur des problèmes qui entachent les premier et deuxième scénarios résultent essentiellement du degré de dépendance de l'entreprise locale vis-à-vis de son système d'information et ce, surtout dans sa partie informatique. Si le système d'information repose sur un progiciel de gestion intégré, l'entreprise entière deviendra l'otage de son partenaire étranger. Ceci n'est certes pas un problème si un des objectifs recherchés dans le partenariat est justement une dépendance de ce genre. Mais dans tous les autres cas, l'affaire devient compromissoire car l'entreprise tunisienne se verra limitée dans le choix de son ordinateur, de son système d'exploitation, de ses applicatifs et dans ses stratégies de développement et de formation qui, soit dit en passant, est encouragée et subventionnée par l'État tunisien. Pis encore, l'entreprise tunisienne pourra devenir tributaire de son partenaire jusque dans son système d'information de gestion.

La lame est donc à double tranchant. Bénéficier du modus operandi d'une entreprise européenne ou américaine est assurément un avantage découlant du phénomène du partenariat. Mais si la solution de survie est le partenariat, il faut méditer sur ce qui est donné en échange.